Angers : Non à la rue Thiers ! Vive la rue Lefrançois !

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Les Amis de la Commune de Paris (Pays de la Loire) continuent à lutter pour l’abandon de la référence à Adolphe Thiers, meurtrier de masse des communards, dans une des principales rues d’Angers. Vendredi 28 mai, ils ont, symboliquement et dans une ambiance festive, rebaptisé cette rue du nom de Gustave Lefrançois (1826-1901), instituteur né à Angers d’un père chef d’atelier de l’École des Arts et métiers. Élu à la Commune de Paris en 1871, il en fut responsable de l’Éducation et fut à l’origine des décrets instituant la laïcité de l’École et l’accès des filles à la formation professionnelle.

Dans un courrier d’octobre 2009 adressé au Maire d’Angers, J.-C. Antonini, l’Association régionale (Pays de la Loire) des Amis de la Commune de Paris de 1871 rappelait la responsabilité directe du politicien versaillais Adolphe Thiers dans la semaine sanglante qui marqua la fin de la Commune de Paris : 30.000 morts, 43.000 arrestations, 3800 déportations. Elle demandait au Maire de débaptiser la rue associée à « Thiers, le type même du bourgeois cruel et borné qui s’enfonce sans broncher dans le sang » (Georges Clémenceau) et de lui donner le nom incomparablement plus noble de Gustave Lefrançois [1], de surcroît angevin.

La réponse négative du Maire, hélas, relève de la triste idéologie d’extrême-centre qui préside depuis trop longtemps aux destinées de la ville. Selon lui en effet, retirer les plaques au nom de Thiers serait « supprimer la possibilité qu’il nous soit donné d’étudier et d’analyser (...) cette page d’histoire (...) qu’il incarne aussi à sa façon ». Et le Maire de conclure que l’oeuvre de Thiers « éclaire la compréhension que l’on se fait des contradictions sociales et politiques de cette seconde partie du 19e siècle » !!!

Ces propos de l’édile angevin ne lassent pas d’interroger. L’Association n’avait pas demandé que le nom de Thiers soit également rayé des livres d’histoire. Ce qu’elle demandait, c’est que celui que les Communards avaient surnommé Foutriquet cesse d’être honoré par la municipalité comme quelqu’un de respectable. Avec les propos quelque peu irresponsables du Maire d’Angers, tout peut être justifié et on peut s’attendre demain, l’oubli aidant, à une multiplication des rues ou places portant le nom de politiciens de l’État français impliqués dans les meurtres de masse du XXe siècle. Il y a déjà assez en France de ces places Louvois (responsable des dragonnades et du sac du Palatinat en 1689), boulevards Lyautey et autres rues baptisées du nom des plus sanguinaires grands serviteurs de l’État d’autrefois...

C’est pourquoi l’Association des Amis de la Commune a décidé de ne pas en rester là. Le rassemblement organisé vendredi 28 mai est parti de la place Mitterrand. Précédés joyeusement par la fanfare La Gueule de cheval, ce sont une soixantaine de militants d’horizons divers portant tous un drapeau rouge qui se sont frayés un chemin à travers les travaux du tramway de la future ex-rue Thiers. Au pied de la plaque de la rue, un discours a été prononcé rappelant les crimes du politicien réactionnaire [2] et opportuniste [3] Adolphe Thiers. Symboliquement, son nom a ensuite été rayé par du ruban adhésif. Puis, l’éloge fut fait de Gustave Lefrançois, combattant du socialisme, pionnier de la laïcité et de l’éducation des filles [4]. Enfin, sous les applaudissements, une nouvelle plaque honorant le nom de Gustave Lefrançois a été consciencieusement scotchée. La fanfare a repris son concert de plus belle avant que l’initiative ne soit conclue par un pot de l’amitié.

Bien sûr, la nouvelle plaque a été rapidement arrachée par la Ville qui tient décidément à célébrer le meurtrier de masse Adolphe Thiers... Mais la lutte continue ! Vive la rue Gustave Lefrançois !

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Place Mitterrand
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La Gueule de cheval
28 mai 2010, par NPA Angers

[1] Gustave Lefrançois (1826-1901) dit Gustave Lefrançais est né à Angers et mort à Paris. Élève de l’École normale d’instituteurs de Versailles, il n’obtient pas de poste en raison de ses idées révolutionnaires. Contraint de chercher un emploi dans des collèges dits "libres" , il en est rapidement renvoyé. En 1848, à cause de son adhésion à l’Association des instituteurs et institutrices socialistes, il est condamné à trois mois de prison et deux ans de résidence surveillée. "Interdit d’enseignement" en 1851, il se réfugie à Londres après le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte. Revenu à Paris après 1853, il continue à s’opposer au Second empire. Le quatrième arrondissement l’envoie comme délégué au Comité central républicain des 20 arrondissements après la proclamation de la République, le 4 septembre 1870. Arrêté parce qu’il a participé à l’insurrection du 31 octobre 1870 contre le Gouvernement de la Défense nationale, il est détenu jusqu’à son acquittement en février 1871. Le 26 mars 1871, il est élu au Conseil de la Commune par le quatrième arrondissement. Il est jusqu’au 3 avril membre de la commission exécutive, puis de celle du Travail et de l’Échange, enfin celle des Finances (21 avril). Il vote contre la création du Comité de Salut public. Pendant la Semaine sanglante il combat sur les barricades mais il parvient à échapper aux Versaillais. Il est condamné à mort par contumace par le Conseil de Guerre alors qu’il est réfugié à Genève. Il devient membre de la Fédération jurassienne, de tendance bakouniniste. Il collabore à divers journaux anarchistes, publie l’Étude sur le mouvement communaliste de Paris en 1871 et devient un des collaborateurs d’Élisée Reclus. Il rentre en France après l’amnistie de 1880.

[2] Thiers est l’immortel auteur de l’apostrophe « La République sera conservatrice ou ne sera pas ! »

[3] « Monsieur Thiers n’a jamais eu qu’une seule pensée : il a toujours songé à Monsieur Thiers. » - Balzac, la Chronique de Paris du 12 mai 1836

[4] À l’exact opposé d’un Thiers qui déclarait : « Je veux rendre toute-puissante l’influence du clergé, parce que je compte sur lui pour propager cette bonne philosophie qui apprend à l’homme qu’il est ici-bas pour souffrir et non cette autre philosophie qui dit au contraire à l’homme : "Jouis" » - (Discours prononcé au sein de la Commission sur l’instruction primaire de 1849)